8 Déc. 2021

Article

©Bernard Martinez

Christophe Mirambeau

L'interview

Dix ans après avoir reproposé l’unique show de Cole Porter, La Revue des Ambassadeurs*, créé lors de ses années parisiennes, le metteur en scène, auteur et musicographe Christophe Mirambeau présente son nouveau spectacle : Cole Porter in Paris. “C’est un livre d’image, un livre de musique, un livre d’humeur, d'évocation, de couleurs et cela n’a rien d’un biopic” prévient-il.

Entre 1919 et 1929, Cole Porter séjourne à Paris. En quoi cela l’a-t-il formé ?
Cela représente pour moi le moment de “fabrication” de sa sensibilité musicale et artistique. Il convoque dans ces chansons la liberté qui régnait à Paris à cette époque, dans une période que l’on appelle – selon moi à injuste titre- les Années Folles, car elles ne sont folles que pour 1% de la population. Elles sont très difficiles pour le reste des Français mais elles incarnent ce Paris mythique, cette notion de luxe et de beauté, cette liberté sexuelle débridée. J’espère qu’en sortant du Châtelet le public va se précipiter sur la littérature, les livres, les partitions, les disques de Cole Porter, car je ne raconte pas tout ! Il faut découvrir la forme de génie absolu de cet artiste.

Cole Porter exerçait-il une influence au-delà du cercle des Américains à Paris ?
Il est à sa manière tout à fait populaire dans ce mouvement, dans ce courant artistique qui traverse la capitale. Pour la Revue des Ambassadeurs, nous avons des traces de diffusions à la radio datant de 1928. Il fait partie du top de ce que l’on entend à l’époque ! Ce qui laisse supposer que ses chansons éditées en France essaiment dans tous les dancings et les grandes brasseries qui avaient des orchestres. Il fait partie de cette modernité qui façonne Paris dans les années 1920. Il allait sentir cette vibration chez Fysher rue d’Antin, à Montparnasse, au Bœuf sur le toit… Il sortait beaucoup, il pouvait profiter de la vie car il était riche. Il se nourrit de toutes les nuances de cet air du temps irrigué par les fulgurances des créateurs qui explosent à ce moment-là… et cette sensation de renouveau, cette irrésistible vitalité est vraiment palpable dans ses chansons, en plus du charme mélodique et de la pulsation rythmique incroyable de ses lyrics. Son esprit est étincelant, qu’il s’agisse d’une chanson drôle ou sentimentale ; elle est toujours juste pour celui qui la reçoit.

Sur quels documents vous êtes-vous appuyé pour créer ce spectacle musical ?
C’est un sujet que je connais bien ! Je me suis appuyé sur mon imagination, les biographies, la correspondance mais surtout sur ses lyrics, car tout Cole Porter est dans ses chansons. Elles se lisent quasiment toutes à double sens et se rapportent à des éléments de sa vie et à sa sensibilité. Il parlait très bien notre langue et a mis beaucoup de mots et d’expressions françaises dans ses chansons. Pour ce spectacle, je donne à voir l’humeur et le parcours de Porter à Paris dans les années 1920. Les chansons ne sont pas exclusivement 20’s, mais se rapportent à la personnalité de Porter et à sa vie et ses émotions parisiennes. Certains titres étaient prévus pour des shows ou des films dont ils ont été finalement écartés. Les chansons de Porter ont leur vie propre et ne sont pas toutes vissées à la pièce pour laquelle elles ont été écrites. J’ai d’abord choisi les chansons en fonction de leur intérêt, textuel et musical, puis en regard de la narration que je souhaitais dérouler, et des dialogues et situations scéniques auxquels je voulais les associer. À partir de là, j’ai décidé du layout du numéro musical : quel style d’arrangement, quel type d’instrumentation, avec parfois des demandes très précises, quelle longueur et quel caractère pour l’introduction, quelle structure et combien de couplets ou de refrains, quelles interpolations d’épisodes dansés (ou non), …

Le décor de Casilda Desazars est très abstrait, constitué de formes géométriques qui vont et viennent, montent et descendent.
La première fois qu’on en a parlé, j’ai dit à mes collaborateurs : c’est un spectacle “bleu”. Pour parler de cette époque révolue, je ne voulais pas faire de reconstitution historique. Je voulais créer de l’humeur, du sentiment et de la sensation pour le public. Je souhaitais que ce soit visuellement abstrait, que l’on ait l’impression que le décor soit la réalisation en trois dimensions d’une toile d’avant-garde de 1925. Cette abstraction permet de faire ressortir la réalité et la chair des personnages, et de mettre en valeur ce qu’ils disent et chantent. Le décor de Casilda Desazars est à la fois une véritable œuvre d’art et un objet de théâtre qui joue tout le temps.

Le répertoire de Cole Porter, à la scène ou à l’écran, est souvent chorégraphié. Comment avez-vous travaillé avec Caroline Roëlands ?
La danse n’est jamais détachée de la mise en scène. Nous avons tous deux une conception très “narrative” de la danse – le corps doit porter du sens, il ne s’agit pas que qu’un beau geste physique ; elle est en cohérence avec l’esprit et les directions narratives du spectacle, même lorsque nous décidons que tel passage sera du pur divertissement chorégraphique ! Pour l’évocation du ballet de Cole, Within the Quota, créé au Théâtre des Champs-Élysées par les Ballets Suédois, il nous fallait trouver comment faire pont avec la modernité de 1923, cette modernité qui désormais appartient à l’histoire mais dont nous souhaitions que le public perçoive et appréhende la saveur. Alors nous avons décidé de reprendre des gestes chorégraphiques issus des créations de Jean Börlin pour les Ballets Suédois ; Caroline Roëlands les associe à son propre langage, et l’ensemble s’enrichit de paramètres supplémentaires, tels le décor, la lumière… Nous travaillons beaucoup ensemble, et nous montons de concert les numéros dits en musical staging, ces moments à la lisière de la danse et du théâtre. Caroline imagine et dirige les figures dont nous avons besoin, et je les organise selon mes nécessités de mise-en-scène.

Comment la musique de Porter s’inscrit-elle dans le répertoire lyrique léger des Frivolités Parisiennes** ?
Nous nous réapproprions une musique parfois écrite à Paris, parfois non, mais dont les influences françaises sont lisibles, fût-ce en pointillé, et nous l’exprimons avec notre sensibilité française contemporaine, tout en respectant l’esprit dans lequel les œuvres ont été écrites. Il n’y a pas d’orchestration d’origine à proprement parler car ces partitions étaient orchestrées selon les nécessités artistiques et économiques selon les shows et les lieux où elles étaient jouées. C’est tout un travail conceptuel avec les orchestrateurs à partir des matériels piano/chant originaux. Nous le réinventons dans les sonorités et les couleurs d’époque, avec un petit détail français : nous avons un accordéon dans l’ensemble ! J’aime avoir l’orchestre sur scène et l’intégrer à l’action théâtrale. Ils sont des interprètes, apparaissant sur scène comme des personnages. Ils sont costumés et existent au même titre que les chanteurs et les danseurs. Les Frivos, c’est une véritable troupe.

* A l’Opéra de Rennes en 2013, sous la direction de Larry Blank, mise en scène de Valéry Rodriguez.
** Christophe Mirambeau est conseiller artistique des Frivolités Parisiennes. Il a mis en scène Yes !, Paris-Chéri(es), Normandie et assuré la conception musicale de Réveillon au Frivol’s Club au Châtelet en décembre 2020 (captation).

 

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