6 Févr. 2023

Article

Thomas Amouroux

“COME AND MEET THOSE DANCING FEET”

Cinq, six, sept, huit !

Par Isabelle Wolgust, autrice du Dictionnaire de la comédie musicale aux éditions Vendémiaire

Backstage musical 

Sorti en 1933, 42nd Street est un film emblématique du backstage musical américain : une comédie musicale qui se concentre sur les coulisses d’un spectacle qui se monte, sur le travail et les difficultés que rencontrent les danseurs. Cet univers fait alors écho à la crise financière que traversent les Etats-Unis. 42nd Street, c’est aussi la rue où se situe la majorité des théâtres de Broadway. Le choix du titre n’est peut-être pas pour rien dans le succès de cette comédie musicale devenue un classique d’abord au cinéma, puis sur scène. L’intrigue est simplissime : Julian Marsh (Warner Baxter), metteur en scène ruiné par la crise de 1929, veut monter un spectacle Pretty Lady pour se refaire. Il engage une star, Dorothy Brock (Bebe Daniels), qui se blesse la veille de la générale. La jeune débutante, Peggy Sawyer (Ruby Keeler) sera-t-elle à la hauteur pour la remplacer ? Au moment où le film sort, Ruby Keeler, qui interprète le rôle de la jeune Peggy Sawyer, est mariée à Al Jolson, la star de The Jazz Singer (Le Chanteur de Jazz, A. Crosland, 1927). Elle tournera en duo avec Dick Powell, qui incarne le rôle du jeune premier Billy Lawler, six autres films pour la Warner. 42nd Street a permis également à Ginger Rogers de se faire connaître dans le rôle d’Ann Lowell ou Anytime Annie. Stanley Donen, immense réalisateur et figure incontournable de la comédie musicale au cinéma a trouvé sa vocation en regardant Flying Down to Rio (Carioca, T. Freeland, 1933). Très attaché aux films de cette époque qui lui rappellent son enfance, il rend un vibrant hommage à 42nd Street dans Movie Movie (Folie-Folie, 1978), un film en deux segments. Le premier Dynamite Hands est un film noir, le second Baxter’s Beauties of 1933 est un backstage musical dans le style des années 1930. Dans ce film, contrairement à la comédie musicale d’origine, la jeune débutante est aussi la fille du metteur en scène.

42nd Street est adaptée du roman éponyme de Bradford Ropes, qui décrit la vie et les coulisses d’un spectacle qui se monte. Bradford Ropes était lui-même danseur et connaissait parfaitement cet univers. Dans le livre, Julian Marsh est ouvertement homosexuel, la star Dorothy Brock a une grandeur d’âme toute relative et la jeune débutante devient une garce. Darryl Zanuck, producteur de 42nd Street pour la Warner, demande à Rian James et James Seymour, les deux scénaristes, d’en faire une version plus positive. En effet, depuis The Broadway Melody (Broadway Melody ou Amours de danseuses, H. Beaumont, 1929), toute première comédie musicale, les studios en produisent énormément, mais le public commence à se lasser de ce genre. Or Darryl Zanuck est persuadé que le problème vient de la qualité des films qui déçoit les spectateurs.

Busby Berkeley

Il décide alors de faire appel à Busby Berkeley. Celui-ci a appris les bases de son futur métier durant la Première Guerre mondiale où il officie comme lieutenant d’artillerie et règle les parades militaires. De retour aux États-Unis, il travaillera sur différents spectacles à Broadway, avant d’être engagé par la Warner. Quand Darryl Zanuck se tourne vers lui, son travail consiste essentiellement à faire répéter les danseurs. Zanuck lui laissera un mois pour tourner uniquement les séquences dansées et chantées de 42nd Street. Le réalisateur, Lloyd Bacon, se chargera du reste.

C’est avec ce film que Busby Berkeley fera sa réputation et changera complètement la façon de mettre en scène la danse dans les années 1930-1940 : il utilisera des plans en plongée et organisera des formes géométriques avec les danseuses, qu’il choisira minutieusement, afin de produire (selon les critères de l’époque) un ensemble harmonieux (de jeunes femmes pour la plupart blondes qui se ressemblent toutes beaucoup). Pour le numéro « Young and Healthy » (Al Dubin, Harry Warren), il fera construire un plancher tournant et créera des images kaléidoscopiques. Le succès est phénoménal ! Il dirigera les chorégraphies de six comédies musicales dans les deux années qui suivront. On lui doit par exemple celles de la série des Gold Diggers (Chercheuses d’or) entre 1933 et 1938. En tout, il réalisera (seul ou en duo) et chorégraphiera plus de trente films. Busby Berkeley est l’un des très rares chorégraphes à ne pas être danseur (ce qu’il taira longtemps) et cela se sent. Beaucoup sont encore émerveillés par son style et son inventivité ; d’autres peuvent être rebutés par son inspiration toute militaire. Néanmoins, Busby Berkeley reste une référence pour les comédies musicales de ces années-là et son travail mérite d’être découvert. Ne serait-ce que pour ce qu’il dit d’une époque, où les femmes n’étaient que des objets qu’on exhibait en suivant des schémas préétablis, pour le bon plaisir des hommes. En 1941, c’est aussi lui qui dirige « Fascinating Rythm » (George et Ira Gershwin) dans Lady be good (Divorce en musique, N. Z. McLeod). Cette fois, son installation complexe ne sert pas sa vision obsessionnelle de l’ordre, mais se met au service du talent de Eleanor Powell : cette dernière fait un numéro de claquettes époustouflant tandis que les décors qui l’entourent changent constamment.

De Hollywood à Broadway

La circulation des échanges, le mouvement entre Broadway et Hollywood sont permanents : les musiciens, les auteurs, mais aussi les décorateurs, les costumiers, les acteurs, les chanteurs, les danseurs, les chorégraphes passent d’un univers, d’une rive à l’autre. Les adaptations au cinéma sont fréquentes. Les studios se sentent rassurés quand ils connaissent déjà l’histoire qu’ils vont raconter aux spectateurs – même si les adaptations à l’écran sont parfois très éloignées des œuvres d’origine. Le public connaît déjà les chansons, c’est à leurs yeux un atout supplémentaire. Pourtant, l’adaptation d’un succès sur scène n’est ni un gage de succès en salle, ni un gage de qualité, mais grâce au travail, à l’imagination, à la créativité des talents, elle peut donner naissance à de grands films. Le mouvement inverse d’Hollywood vers Broadway est plus rare et plus récent. Il s’accélèrera après le triomphe de la première adaptation scénique de 42nd Street. Citons Singin’ in the Rain (Chantons sous la pluie, G. Kelly, S. Donen, 1952) qui sera joué à Londres, puis à Broadway en 1985 dans une version mise en scène et chorégraphiée par Twyla Tharp. Robert Carsen mettra également en scène une nouvelle version, particulièrement remarquée, au Théâtre du Châtelet à Paris en 2015. Black Edwards, le réalisateur de Victor Victoria en 1982, adaptera lui-même une version scénique à Broadway en 1995. Saturday Night Fever (La Fièvre du samedi soir, J. Badham, 1977), film mythique avec John Travolta, sera également adapté sur scène à Londres, puis Broadway en 1999 avant de tourner un peu partout dans le monde. Billy Elliott (S. Daldry, 2000) connaîtra grâce à Elton John une deuxième vie sur scène à partir de 2005 à Londres…

Il aura fallu attendre près de cinquante ans entre la sortie de 42nd Street sur les écrans et l’adaptation sur scène de Gower Champion en 1980. Celui-ci reprendra cinq chansons du film dont « Shuffle to Buffalo » et le finale « 42nd Street » (Al Dubin et Harry Warren), qui sont devenus des standards. Si le film demeure un classique du backstage musical des années 1930, grâce aux chorégraphies de Busby Berkeley, fait rare, à mon sens, l’adaptation surpasse l’original, grâce au talent de Gower Champion, qui a su moderniser cette œuvre en recentrant sa mise en scène sur les claquettes. Citons le lever de rideau partiel, qui laisse découvrir des jambes exécutant un magnifique numéro de claquettes. C’est une idée de cinéma sur scène, qui marque à chaque fois les heureux spectateurs qui le découvrent. Gower Champion mourra quelques heures avant la première, faisant ainsi définitivement entrer 42nd Street dans la légende.

 

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