26 Mars 2019

La vie du Théâtre

Thomas Amouroux

Interview de Philippe Pumain et Christian Laporte

Deux ans et demi de fermeture, c’est long. Il a fallu entamer une vaste restauration patrimoniale des façades et des toitures, de la salle de spectacle et des espaces d’accueil du public. La vétusté des réseaux techniques a également nécessité une rénovation complète de l’électricité, de la plomberie, du chauffage et de la ventilation, entièrement remis aux normes. Nous laissons la parole aux maîtres d’œuvre de ces travaux : Philippe Pumain, architecte mandataire de la restauration du Châtelet, et Christian Laporte, architecte du patrimoine.

Dans quel état avez-vous trouvé le bâtiment, dont la construction remonte à 1860-61 ?

Lors de la phase des études, puisque avant toute chose il a fallu établir un diagnostic, nous n’avons pas constaté d’anomalies particulières, si ce n’est une usure des équipements techniques (réseaux électriques, chauffage, ventilation…) plus marquée que celle des structures (façades, pierre, toitures…). Cela s’explique tout simplement parce que, dans ces deux cas, nous ne sommes pas dans les mêmes temporalités : pour la structure proprement dite, les évaluations se font en termes de décennies, tandis que l’on peut considérer que les réseaux techniques sont obsolètes au bout d’une vingtaine, voire d’une dizaine d’années, ce qui était clairement le cas au stade où le chantier a démarré.

En ce qui concerne la partie patrimoniale – le bâtiment lui-même, donc –, les revêtements et épidermes intérieurs de la salle présentaient une certaine vétusté due notamment à des interventions humaines, puisque les restaurateurs successifs ont procédé à des superpositions de couches qui ont altéré le décor d’origine. Quant aux façades et aux toitures, l’usure provenait moins de la qualité de la pierre, malgré la disparité des matériaux employés, que d’agents extérieurs comme la pollution atmosphérique. Donc, pas d’inquiétudes majeures ici : nous étions face à des phénomènes normaux d’appauvrissement et d’usure.

Ancienne gravure de la façade du Châtelet
Gravure de la façade du Châtelet à sa création

Quelles ont été vos principales interventions sur les façades ?

Il s’agit d’une restauration extérieure partielle, qui consiste à sécuriser tous les endroits abîmés, et en particulier les fissures et les décollements, le but étant de livrer un bâtiment qui, à moyenne distance, soit satisfaisant pour l’œil. Nous avons également procédé à une grande campagne de déplombage, qui est un sujet important aujourd’hui sur les chantiers. Cela concernait l’intérieur du bâtiment (essentiellement lorsque de la peinture au plomb avait été utilisée), mais aussi les façades, en raison des dépôts provenant de l’essence utilisée par les voitures durant des décennies. Aujourd’hui, la Cramif et l’Inspection du travail demandent que les opérations de nettoyage et de restauration des façades soient systématiquement précédées d’un déplombage pour éviter d’exposer les travailleurs à cet agent pathogène. Cette opération, même si elle générait des travaux supplémentaires, non prévus initialement, a été bénéfique dans le sens où elle nous a permis d’aller plus loin : la technique que nous avons étudiée avec l’entreprise consistait en effet à appliquer un sorte de « cataplasme », favorisant un nettoyage des façades plus important que ce que l’on devait faire à l’origine.

Votre mission consistait-elle aussi à mettre le bâtiment aux normes actuelles d’accessibilité et de sécurité ?

Cette question faisait bien évidemment partie du programme initial, sachant qu’un certain nombre de travaux avaient déjà été effectués dans ce théâtre. Deux grands escaliers latéraux, pris d’un côté sur le volume de l’hôtel Victoria et de l’autre sur les locaux de l’ancien syndicat de police sur les quais, avaient notamment été ajoutés dès la fin du XIXe siècle afin d’améliorer les conditions d’évacuation du public. Ces escaliers sont parfaitement opérationnels et nous allons juste élargir l’arrivée de l’un d’eux pour répondre aux normes actuelles.

Les RIA (réseaux d’incendie armés) – c’est-à-dire la protection incendie, les détecteurs de fumée, les systèmes de désenfumage… – sont directement liés aux questions de sécurité et vont être entièrement remis aux normes.
Quant au problème de l’accessibilité, c’est lui aussi un sujet compliqué aujourd’hui. Certaines places étaient jusqu’à maintenant réservées aux personnes handicapées, mais elles étaient quand même difficilement accessibles. À la réouverture, la salle bénéficiera de vraies places, au nombre de vingt : dix places permanentes et dix places aménageables en démontant certains sièges. Par ailleurs, toutes les circulations seront accessibles aux PMR (personnes à mobilité réduite), ce qui était déjà partiellement le cas puisqu’un ascenseur spécial avait été installé, donc nous ne partions pas de zéro. Le dernier point concernait l’entrée : jusqu’à présent, la rampe d’accès permettant l’entrée dans le péristyle du théâtre n’était pas conforme, parce qu’elle avait dû être aménagée en tenant compte de la présence de l’un des deux escaliers « Chalet », et son utilisation était de ce fait peu pratique. Ces escaliers « Chalet », situés de part et d’autre de l’entrée, partaient de la terrasse Nijinski et descendaient jusqu’au rez-de-chaussée. Selon nous, ils n’apportaient pas de valeur ajoutée à l’édifice, et de plus ils faisaient un peu figure d’« intrus » puisqu’ils avaient été rajoutés à la fin du XIXe siècle. Nous avons obtenu l’accord de la Direction régionale des affaires culturelles pour les déposer. Nous retrouverons ainsi la spatialité du péristyle et pourrons réaliser une rampe cette fois strictement conforme aux normes PMR, ce qui permettra donc d’accueillir le public dans les meilleures conditions.

Corine Watrin
Affiche de 1912 retrouvée sous un miroir de l’avant foyer

Avez-vous fait des découvertes lors de ces travaux – notamment en ôtant les couches de peinture successives dans les espaces que le public fréquente, comme les couloirs ou les différents foyers ?

Ce que nous avons trouvé concerne essentiellement les décors dans l’avant-foyer et dans les escaliers d’honneur, ceux qui étaient réservés au public « chic » au XIXe siècle. Lors des études préalables, nous avons fait des sondages pour vérifier la stratigraphie et voir si, en dessous des différentes couches, on retrouvait des décors d’origine. On se doutait qu’il y avait quelque chose, mais on ignorait dans quel état c’était. L’ouverture de petites fenêtres de sondage nous a permis de faire des trouvailles assez spectaculaires, qu’il s’agisse de l’avant-foyer ou des escaliers.
Nous avons retrouvé un décor de faux marbre, réalisé avec une peinture à l’huile qui avait ensuite été cirée, donc ce travail témoignait d’un vrai souci de qualité. Cela fait partie des surprises que l’on rencontre lorsqu’on restaure un bâtiment.

Et pour poursuivre sur les découvertes heureuses, nous avons constaté par exemple que les oves dorés, ces motifs en forme d’œuf qui ornent le tour de la coupole au-dessous de l’ancienne verrière, étaient dans un état remarquable. La restauration que nous avions prévue sera donc inutile, puisqu’un simple nettoyage / dépoussiérage suffira.
Mais, même si globalement la décoration était en bon état, l’accumulation de couches de peinture, de vernis et de bronzine (« peinture » imitant la dorure) avait appauvri le décor d’origine, et en intervenant nous risquions d’altérer les couches picturales sous-jacentes. L’opération était d’autant plus délicate que ce sont des vernis industriels qui avaient été utilisés, très certainement dans les années 1980, lors d’une restauration précédente. Après toute une série d’essais avec différentes gammes de produits, nous avons eu le grand bonheur d’arriver à dévernir le décor. Au final, nous aurons une parure ornementale qui aura retrouvé son éclat et son contraste originels. L’ensemble sera plus clair, plus lumineux, et surtout plus coloré. Le public pourra voir une véritable différence, parce que c’est spectaculaire.

Philippe Pumain
Vue d’architecte de la salle restaurée

Êtes-vous intervenus sur l’éclairage de la salle ?

Oui, et la question là était à la fois technique et patrimoniale. Toutes les lampes seront équipées d’ampoules Led, y compris pour l’éclairage scénique, ce qui se fait un peu partout aujourd’hui. L’avantage de ce système est bien sûr de diminuer la consommation. Ce n’est d’ailleurs pas forcément simple à réaliser parce que cette technologie est en pleine évolution, et la difficulté consiste à maîtriser l’intensité de Leds graduables car il ne faut pas, par exemple, que lorsqu’on baisse les lumières, la salle soit brusquement plongée dans le noir. Mais ce genre de problèmes se règle plus facilement aujourd’hui avec les nouvelles générations de Leds.

Par ailleurs, tous les luminaires historiques, et notamment le lustre de la salle, vont être restaurés. À l’origine, le plafond était éclairé par des becs de gaz situés au-dessus d’une verrière ; ils ont vraisemblablement été mis hors service lors de l’arrivée de l’électricité vers 1890. Le lustre alors mis en place se trouve actuellement chez un spécialiste qui en a restauré tous les éléments (pampilles, bobèches, chaînettes en verre et fils torsadés en laiton…), avant qu’il ne soit équipé, lui aussi, avec des ampoules Led. Nous avons également choisi de réinstaller la verrière (mais sans les becs de gaz, bien évidemment !). L’idée était de pouvoir créer un effet d’éclairage opalescent, un halo lumineux offrant des intensités différentes dans la salle par des variations de couleurs du plafond, qui sera parfois éclairé sans le lustre, parfois par le lustre seul, parfois par le lustre et le plafond lumineux simultanément, selon l’effet que les futurs metteurs en scène voudront produire. Par cette possibilité, nous avons souhaité apporter une richesse supplémentaire dans la scénographie lumineuse.

Au niveau de la galerie Adami et du foyer Nijinski, nous allons également installer un certain nombre de luminaires contemporains, que nous avons conçus et qui vont permettre là aussi d’améliorer les conditions d’éclairage de ces espaces. Pour le Grand Foyer, il s’agit là d’une restauration historique. Nous allons rouvrir les oculi (oeils-de-boeuf) qui jusqu’à présent étaient bouchés par des parties de la « fresque » de la galerie et que le peintre Valerio Adami nous a aimablement autorisés à déposer. Cette lumière naturelle sera renforcée par les lustres d’origine, eux aussi partis en restauration, et qui seront rééquipés avec des ampoules Led.

L’éclairage extérieur du bâtiment a-t-il été repensé ?

Cet aspect participait également de l’image générale que l’on souhaitait donner du Théâtre. Afin que le Châtelet puisse facilement être identifié dans le paysage urbain, nous avons conçu une scénographie lumineuse très contemporaine et assez spectaculaire mettant en valeur le corps central, qui émerge comme un élément incandescent au-dessus de la toiture grâce à un éclairage qui souligne la crête de toit en fonte et le lanternon… Et en complément de cet effet un peu festif, nous avons imaginé de réinstaller sur la façade centrale les luminaires figurant sur les gravures historiques, car l’actuelle galerie Adami était à l’origine éclairée par des candélabres reposant sur des mâts en fonte surmontés de boules au droit des arcades donnant sur la place du Châtelet. À l’époque d’ailleurs, cette loggia était ouverte, une hypothèse que nous avons un moment évoquée avant d’y renoncer, tout le monde s’accordant à penser qu’il valait mieux conserver les vitrages actuels, à la fois pour que cet espace puisse servir en toutes saisons et parce que le foyer aurait été trop petit pour accueillir le public au moment des entractes.
À l’origine, quatre statues allégoriques, la musique, le drame, la danse, la comédie, ornaient également la balustrade au-dessus des arcades.

Dans cet esprit de verticalité que l’on souhaitait retrouver pour la façade, nous allons réinstaller ces statues, dont nous n’avons plus trace que sur les photos de l’époque. Elles ont été retirées avant la Première Guerre mondiale, mais on ne sait pas précisément quand, ni pourquoi.

Au final, ces interventions intérieures et extérieures représentent de gros travaux, mais, compte tenu de l’intensité de l’activité dans un théâtre, il est normal de mener des opérations de restauration ou rénovation des structures, des réseaux et des installations scénographiques environ tous les vingt ou vingt-cinq ans. Les travaux patrimoniaux qui ont été réalisés ici à la fois sur les façades et dans la salle devraient couvrir une période nettement plus longue, d’autant qu’en ce qui concerne les ravalements extérieurs, on peut espérer que le développement des voitures électriques permettra de diminuer les effets de la pollution atmosphérique. Donc il ne s’agira plus, dorénavant, que d’un travail d’entretien puisque, par rapport aux interventions précédentes, nous sommes revenus aujourd’hui au plus près des décors d’origine.

Galerie de médias

Philippe Pumain

Vue d'architecte du Châtelet rénové

Philippe Pumain

La future scénographie lumineuse de la façade

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