10 Mai 2024

Article

Jazz Magazine

70 ans de passion

Créé par Nicole et Eddie Barclay avec l’ancien administrateur de Jazz Hot, Jacques Souplet, le premier numéro de Jazz Magazine est dans les kiosques en décembre 1954. Lionel Hampton est en couverture. Mettre en Une un Afro- Américain est révolutionnaire dans la presse française de l’époque.

En 1955, Frank Ténot inaugure une émission de jazz sur une nouvelle station de radio, Europe 1. Il présente en direct Pour ceux qui aiment le jazz en tandem avec un jeune photographe de Paris-Match et Marie-Claire, Daniel Filipacchi. Le duo rejoint bientôt l’équipe de Jazz Magazine, inventant de nouvelles formes d’écriture journalistique, mettant l’accent sur la photo, la mise en page, et l’innovation typographique. Le mensuel s’inspire des hebdomadaires américains Life et Time, pionniers du photojournalisme et du magazine d’actualité. Avide de la contre-culture américaine, le public jeune adhère à cette conception qui rapproche le jazzman du jazzfan. En faisant appel aux meilleurs photographes du moment, en Europe comme aux États-Unis, Jazz Magazine comble les désirs du lecteur : reportages dans les studios d’enregistrements, images de concerts, instantanés de loges et de tournées, séances photos dans des circonstances de la vie quotidienne… Au fil des pages et des numéros, le jazz est ainsi légitimé comme pratique culturelle et mode de vie jusque dans ses dimensions esthétique et politique.

Au cours des décennies suivantes, les plus fines plumes de la critique jazz hexagonale rejoindront peu à peu le magazine, de Jacques Réda à Alain Gerber en passant par Jean-Robert Masson, Jean Wagner, Michel Laverdure, Francis Marmande, Jean-Louis Ginibre et Philippes Carles. Les chroniques de disques, études, grands entretiens et autres blindfold tests illustrés par la génération dorée des grands photographes – Jean-Pierre Leloir, Guy Le Querrec, Giuseppe Pino, Christian Rose… – font depuis soixante-dix ans la richesse d’un magazine qui n’a jamais cessé de se renouveler, ouvrant depuis le début des années 2000 la porte à des contributeurs (Stéphane Ollivier, Franck Bergerot, Guy Darol, Pascal Rozat, Katia Dansoko Touré, Noadya Arnoux, Jean-François Mondot, Sylvain Gripoix, Jean-Baptiste Millot…) qui, sous la direction de Fred Goaty, continuent de donner à l’histoire et à l’actualité du jazz leurs lettres de noblesse. En 2014, Edouard Rencker devient le propriétaire de Jazz Magazine. L’aventure continue, toujours sous le signe de l’indépendance et de la passion.

Nicole Barclay et Pannonica de Koenigswarter, alias Nica : l’une fut la PDG de Barclay et la cofondatrice de Jazz Magazine, l’autre, l’ange gardienne des plus grands musiciens de jazz. Deux femmes d’exception dont les personnalités hors normes fascinent plus que jamais.

Se seraient-elles croisées, un soir au beau milieu des années 1950, dans quelque club de jazz ou un restaurant chic de Manhattan ? Nul ne le sait… Ce qu’on sait, en revanche, c’est que Nicole Barclay, première femme d’Eddie Barclay, et Pannonica de Koenigswarter, fille de Charles Rothschild, aimaient toutes les deux le jazz. Beaucoup. Passionnément. À la folie.

La première, businesswoman dans l’âme, proche des plus grands musiciens de jazz français et américains, effectuait régulièrement des séjours à New York, tandis que la seconde y vivait, mécène dans l’âme, toujours entre deux hôtels quatre étoiles, entourée de ces jazzmen qu’elle admirait tant, et qui le lui rendaient bien, de Thelonious Monk à Bud Powell en passant Dizzy Gillespie, Barry Harris ou Art Blakey.

« Nicole Barclay était la PDG, le visage de Barclay. Elle maîtrisait l’anglais, ce qui n’était pas le cas d’Eddie, c’est elle qui parlait et prenait les décisions. Elle avait cet amour des musiciens, qu’elle gérait au sein du label comme des membres d’une famille, et un charisme incroyable. Quincy Jones le disait : lors des réunions artistiques pour décider des morceaux à enregistrer, elle avait en tête tous les chiffres et les taux de ses licences aux États-Unis et dans tous les pays, comme un chef de produit de haut rang. Malgré tout ça, elle est restée dans l’ombre de son mari, mais ça n’était pas volontaire et il n’a pas essayé de l’éclipser, bien au contraire », disait il y a peu le grand historien du jazz Daniel Richard dans Jazz Magazine. Dans le même numéro, Eva Roque écrivait à propos de Pannonica de Koenigswarter : « Sa vie se dessine à travers quelques paroles de musiciens, et surtout au gré de ses carnets et de ses photos. Des polaroïds d’une intense poésie, où la lumière du jour et de la nuit se mêle pour donner naissance à une faille temporelle emplie de la musique de Monk. Alors, on se plaît à rêver de croiser Pannonica, élégamment vêtue de son manteau léopard, son fume-cigarette à la bouche, prête à prendre le volant de sa Bentley pour filer à vive allure jusqu’au cœur de Manhattan. Direction les clubs de jazz ! »

Ces combats justes et forts que les femmes mènent aujourd’hui, Nicole Barclay et Pannonica de Koenigswarter les avaient chacune à sa manière anticipés, ouvrant à leurs descendantes des perspectives inimaginables en ces temps, fort heureusement révolus où personne, ou presque, n’imaginait une maison de disques dirigée par une présidente directrice générale ou une aristocrate fréquentant des génies du jazz afro-américains…

Noadya Arnoux, Jazz Magazine

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