10 Mai 2024

Article

Olivier Hoffschir

Le gai savoir de Laurent de Wilde

Laurent de Wilde est un homme joyeux. On peut l’entendre dans ses émissions de radio On the Wilde Side sur Radio Classique tous les soirs, le lire dans ses livres Monk et Les fous du son, et désormais le voir sur sa chaîne youtube avec ses curiosités musicales du moment...

Pour lui, le jazz est un domaine aussi vaste que la chimie ou la philosophie. Et chaque personne sur cette planète aime écouter un morceau de jazz sans même savoir que c’est du jazz ! « Ma mission est de prendre les gens par la main, d’une manière ou d’une autre, et de les reconnecter à leur sensibilité pour qu’ils ouvrent leurs oreilles au jazz sans l’a priori sociétal qui est aujourd’hui très présent. Lorsque les gens me demandent ce que je fais dans la vie et que je leur réponds  » musicien de jazz « , ils s’exclament à tous les coups :  » Ah ! Moi le jazz je n’y connais rien.  » Si je disais que je suis musicien de classique ou de rock, personne ne me dirait ça ! Le jazz est à tout le monde. Quel dommage qu’il soit perçu comme une musique de savoir… »

La connaissance est un outil de plaisir

Laurent de Wilde évoque le souvenir de son père qui « ne comprenait rien » à sa musique. Il venait à ses concerts, mais repartait chagriné de n’y pas trouver le plaisir que son fils ressentait. En 2017, Laurent de Wilde sortit un disque de reprises de Thelonious Monk, New Monk Trio. Vingt ans avant, il avait publié une biographie du pianiste. Son père le lut et apprécia le texte car il mettait à sa portée l’histoire d’un homme et de sa musique. Avant chaque concert de reprises de Monk, il demandait désormais à son fils la liste des morceaux qu’il allait jouer et lisait les pages relatives à ces morceaux avant de les écouter… Et de les apprécier, enfin ! Ce livre a été la clé qui lui a permis d’accéder au jazz.

« On visite différemment une galerie de peinture si on a les explications des œuvres et de leur genèse, de leur auteur. Chaque histoire épaissit le tableau et je suis persuadé que la connaissance est un outil de plaisir. Autre exemple, j’aime les arbres. Ils m’émerveillent. Parfois je m’attarde sur l’un d’entre eux que je vois sur mon chemin, et il acquiert ainsi un prénom, un nom de famille, une histoire, et mon rapport à cet arbre change. Plus on connaît de choses, plus on les apprécie dans leur singularité infinitésimale. » Son livre Les fous du son s’est déjà vendu à 25 000 exemplaires, ce qui le sidère : 650 pages sur les inventeurs de claviers au xxe siècle, un sujet plutôt pointu… Mais il a réussi à conter une histoire suffisamment intéressante pour que tant de lecteurs rentrent dedans ! Sur scène pour Le Châtelet fait son jazz, le pianiste vient nous conter en musique son extraordinaire Tour du monde, avec passion et pédagogie…

Basse et batterie font le temps

« Une section rythmique commence avec la basse et la batterie. On a souvent tendance à croire qu’un bon bassiste et un bon batteur vont faire une bonne paire : chaussure droite, chaussure gauche, et en avant. Mais un mocassin italien et une bottine anglaise ne font pas un heureux mariage, même s’ils donnent l’impression de chausser le pied. Les ampoules ne vont pas tarder à se faire sentir, on ne va pas faire des kilomètres avec ça… Moralité : trouvez la paire… Rien de plus drôle et de plus émouvant que ce mariage forcé entre la basse et la batterie, les deux plus gros instruments (portables, ce qui exclut le piano) de l’orchestre. C’est toute une philosophie, d’être gros. Le bassiste et le batteur, en tournée, ils pensent gros : billets spéciaux, sièges supplémentaires, escaliers, portes étroites, température (la contrebasse peut s’ouvrir comme une vieille chaussure s’il fait trop chaud et moite, ou se fendre comme une bûche s’il fait trop froid), ils me font souvent penser au gros collabo du Port de l’Angoisse qui n’arrête pas de s’éponger le front tout en regardant nerveusement autour de lui. Alors, forcément, ça crée des liens, comme on dit. Entre gros. Alors une fois sur scène, quand ils ont tous leurs trucs déballés et fichés en terre avec une autorité que seul le poids peut concéder, il ne faut pas les emmerder, le bassiste et le batteur. Ils sont venus pour bosser, et ça leur a coûté assez d’ennuis comme ça.

Et c’est là que le miracle se produit : les lumières s’éteignent, le silence se fait dans la salle, et il y a une seconde où rien ne se passe encore, on sait que l’instant d’après il sera trop tard, que le temps va se mettre en route, la machine est remontée, mais là il n’y a rien, pas de temps, juste une promesse, une menace de temps. Et puis tout à coup, tout bascule, et la basse et la batterie arpentent avec une joie furieuse la route qui à chaque instant nous rapproche de notre mort. Ces deux gros-là, quand ils sont sur scène, leur responsabilité est immense, écrasante, c’est pour ça qu’ils ont besoin de toutes ces pièces détachées : ils ne font rien moins que le temps. On est très loin de l’expression sadique et minutieuse qui dit que l’on tient la mesure. Non, eux, ils font le temps. Pas le tic-tac de l’aiguille sur le cadran de ma montre, mais une pulsation profonde qui depuis toujours habite la moelle de nos os, et nous fait oublier l’autre Temps… Oui, au cours d’un concert, la Paire devient… maître du temps ! »

Extrait de :
Laurent de Wilde, Monk, Paris, Gallimard, 1996.

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