3 Janv. 2020

Danse

Les sept péchés capitaux ©Meyer Originals

Quel héritage ?

Pina Bausch

Après Nelken ou Auf dem gebirge hat man ein geschrei gehört, le Tanztheater Wuppertal présente pour la première fois au Châtelet Les Sept Péchés capitaux de Pina Bausch. Avec le Théâtre de la Ville.

Pina Bausch (1940-2009), plus vivante que jamais dix ans après sa disparition ? Oui ! La chorégraphe allemande rayonne. Voir et revoir ses pièces anciennes et les plus récentes est un choc, attestant avec une acuité folle de l’impact esthétique intemporel de son « tanztheater ». Qu’il s’agisse de Agua (2001), de Er nimmt sie an der Hand und führt sie in das Schloss, die anderen folgen (1978) sidérante relecture de Macbeth, ou encore des Sept Pêchés capitaux (1976), spectacles pourtant situés aux antipodes, son geste est fulgurant, rivalisant avec les productions contemporaines en laissant tout le monde sur le carreau. La « danse théâtre », cet hybride explosif de gestes et de textes, devenu une esthétique et quasiment une marque, souffle un vent toujours incroyablement fécond sur les plateaux.

Qu’est-ce-qui explique la force inentamée de ce travail au contact du public d’aujourd’hui ? Au-delà de l’admiration, et de l’amour même que les spectateurs toutes générations confondues portent à Pina Bausch, de multiples paramètres sautent aux yeux. Le tramage composite savant de ses pièces, entre danse, théâtre, cabaret et revue, comble la tendance grand mix que l’artiste sait malaxer comme nulle autre. Avec cette fibre subtilement populaire qui rassemble à plein bras sans jamais céder sur le style et l’audace. Son sens du tableau, du montage-cut porté par une bande-son qui entraîne – même les tubes de Kurt Weill pour Les Sept Pêchés capitaux sont connus de tous – est raccord avec le timing d’aujourd’hui. La rapidité de ses spectacles, filant d’une scène à l’autre, bondissant entre des sensations contrastées, colle à une époque qui fonce, bifurque sans prévenir et twiste vite.

Faire irruption dans l’imaginaire, surprendre sans cesse, étaient déjà inscrits dans les gènes de Pina Bausch qui ne laisse jamais en plan le spectateur. L’interprète bauschien sachant tout faire – danser et jouer la comédie en parlant de lui – est devenu monnaie courante aujourd’hui dans des productions qui avantagent le spectacle total. Avec un « plus » spécifique à l’artiste allemande : toucher le spectateur au plus intime en faisant miroiter l’universel de soi et de chacun.

L’humain, sa surexposition évidemment maîtrisée, est au cœur de la création chez Pina Bausch. Désirs, frustrations, besoins, peurs, grands sentiments et mini-mesquineries, elle a révélé les failles et sondé les gouffres, démasquant les apparences dans un immense sourire de tendresse et non sans pudeur. Ce que les spectateurs d’aujourd’hui, happés dans une société du dévoilement, prennent pleine face. Bien longtemps avant la mode participative, la chorégraphe avait aussi déjà traversé le quatrième mur en s’adressant au public les yeux dans les yeux, voire en le cueillant direct dans son siège.

Parallèlement si la question du féminin est toujours et encore davantage sur toutes les lèvres depuis quelques années, elle n’a jamais quitté les plateaux de Pina Bausch qui a secoué le rapport hommes-femmes avec une lucidité tranchante. À leur façon, sur une musique de Kurt Weill (1900-1950) et des textes de Bertolt Brecht (1898-1956), Les Sept Péchés capitaux, entre les mains de la chorégraphe, mettent le feu au refrain de la domination sexuelle. Composée en réalité de deux pièces, cette soirée enchaîne Les Sept Péchés avec N’ayez crainte, bâtie sur des morceaux variés extraits, entre autres, de Mahagonny et L’Opéra de quat’sous. Le scénario de la première raconte l’histoire de deux sœurs Anna 1 et Anna 2, reflet double d’une jeune fille qui va devenir la proie d’une société dévorée par ses pulsions. L’aînée vend la cadette qui finit par devenir une monnaie d’échange que l’on mesure et étalonne pour mieux se prostituer et faire sonner le tiroir-caisse familial. La lutte pour survivre passe par le commerce de soi. Un refrain que la seconde partie reprend avec virulence et même violence. Les mecs en prennent pour leur grade. Dans le même mouvement, Pina Bausch tente de dégommer les stéréotypes en costumant les hommes en femmes. Ce travestissement, à l’esprit cabaret, présent très tôt dans ses œuvres, ne revendique aucun combat de genre. Libre circulation des identités sur le fil d’une intime fantaisie, il est plutôt échange de garde-robe et de rôle pour aller voir ailleurs ce que vit et ressent l’autre. Un jeu de métamorphoses qui reste sans doute l’un des plus sûrs moyens de faire corps avec l’autre selon Pina Bausch.

Par Jeanne Liger

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